samedi 29 décembre 2012

Lui

Aujourd'hui, j'ai besoin d'exorciser, besoin de parler un peu. Ça sera donc un peu long, mais puisque j'arrive à le faire, c'est que j'ai déjà bien avancé.

Lui.

Lui, c'est une maladie. Ce n'est pas une maladie habituelle, où on fait toutes sortes de tests et où finalement, un jour, un médecin dira qu'on est guérit. Ce n'est pas non plus une maladie qui détruit physiquement. Non, lui, c'est un monstre tapit au fond de soi, et qui dort.

Il dort sans cesse. Il est toujours là, bien enfoui, bien au fond, mais il dort. De temps en temps, il ouvre un œil, juste le temps de dire un mot, une phrase, le temps d'une seconde, et il se rendort avant qu'on s'en aperçoive. Dans ces moments là, ma foi, il n'est pas bien encombrant. On sait qu'il est là, tout bêtement, et il tient compagnie en quelque sorte. On ne s'en préoccupe pas, on l'oublie un peu. Mais lui n'oublie pas, lui ne part jamais.

Et un jour, comme ça, il se réveille. Quelque chose fait du bruit là au fond, et il se réveille. Oh, bien sûr, au début, il n'est pas en forme... Alors il s'étire de tout son long, il se frotte les yeux, et on commence à l'entendre rire, là, au fond. Mais bon, ce n'est pas bien grave, il est là, on le sait. Et puis à force, on a l'habitude, on l'ignore gentiment, on rit quand il parle, on ne l'écoute pas. A quoi bon, après tout. On sait très bien ce qu'il va dire, et puis on en a rien à faire. Cela ne nous intéresse pas. D'ailleurs, tout est faux, et on est bien mieux à ne pas écouter.

Mais lui, il ne lâche pas prise. Il est réveillé et il veut qu'on l'écoute. Alors il parle, il parle de plus en plus fort, et il rit, et on arrive plus à l'ignorer. Pourtant au départ, c'est facile, il suffit de bien s'entourer de gens, d'amis, qui parlent plus fort que lui. Mais il attend, il attend d'être seul avec nous, et alors il se remet à parler. Et dès qu'on est plus seul on oublie ce qu'il a dit. Et on essaie de se ressaisir aussi, parce qu'on sait qu'on ne doit pas y attacher d'importance. Mais petit à petit, sans s'en rendre compte, on l'écoute. Petit à petit, on finit par penser comme lui, de plus en plus souvent. Et puis on s'affaiblit.

Il parle quand on est seul, alors il parle la nuit. Alors on ne dort plus. On essaie pourtant, tant bien que mal, mais non, quelque chose bloque et on ne peut plus s'endormir. Alors on se retrouve à deux heures du matin devant un écran, à écrire tout ça. Mais on ne dort plus. On dort la journée, quand il y a du bruit, du vrai bruit, et que ça l'empêche de parler. Mais il fatigue, il fatigue tellement... Et il coupe de tout. De tout ce qu'on aime.

Plus question de dessiner, on arrive plus à tenir un crayon. Plus question de lire, on arrive pas à se concentrer sur quelque chose plus de deux minutes. Plus question de jouer, tout nous ennuie. Et en tous les cas, pas question de réviser, puisqu'on ne peut plus se calmer cinq minutes le temps de regarder un livre. Et puis petit à petit, plus question de se lever... Pourquoi faire ? On a rien envie de faire de toutes façons. Et puis plus question de manger, pour ça il faudrait se lever.

Et comme ça, de fil en aiguille, on se rend compte que... Qu'on a oublié de manger, aujourd'hui. Qu'on ne s'est pas douché, non plus, puisqu'on est pas sorti du lit. Que les volets sont fermés depuis un moment maintenant, puisqu'on dort le jour. Et on se rend compte qu'on a vu personne, ces derniers temps. D'ailleurs, à quand remonte la dernière fois qu'on a souri ? Quand a-t-on vu quelqu'un la dernière fois ?

Et les gens, les amis, se posent les mêmes questions. Ils appellent, ils viennent voir, mais tout va bien ! Et puis on ne veut pas les inquiéter, à quoi ça servirait ? De toutes façons, physiquement, on a rien, on va bien. Alors on sourit, mais ce n'est plus qu'une façade. Et on continue de l'entendre, lui. Il a pris bien de la place ces derniers temps. Il nous a isolé, il peut parler librement, on entend plus que lui. Même entouré, on l'entend à présent.

Il répète toujours les mêmes choses. On est pas aimé. C'est vrai, personne ne se rend compte de notre état, personne ne voit qu'on a changé, personne ne fait rien. On est pas doué. Ça aussi c'est vrai, tout ce qui nous plaisait, tout ce à quoi on prenait du plaisir, ça ne nous intéresse plus, et on arrive plus à rien. On est moche. Vu qu'on ne sort plus du lit, qu'on ne prend plus soin de soi, on ne ressemble plus à rien. Et enfin... Pourquoi être encore là demain...

Et là, on y arrive. Ces mots, ces mots qu'on va entendre, encore et encore, son but en fait. C'est à ça qu'il voulait arriver, depuis le départ. Pourquoi rester ? Pourquoi s'accrocher ? Pourquoi tenir ? Au point où on en est, est ce qu'on aimerait pas que les choses s'arrêtent ? Que les choses se calment ? Puisqu'on voudrait ne plus penser à rien, et dormir et dormir encore, alors pourquoi se forcer ? Autant se laisser aller, autant finir, maintenant... Il sera bien temps de penser à la suite plus tard.



Heureusement, heureusement pour moi, je suis bien entourée. J'ai des gens qui connaissent cette maladie, des gens qui surveillent ma santé. Et des gens qui sont là pour m'épauler là dedans. Des gens qui m'encouragent à reprendre mon traitement, même si cela signifie clairement accepter que oui, je suis malade. Et ce n'est pas drôle tous les jours, et on aimerait bien l'oublier, de temps en temps. Mais il revient toujours, et il faut savoir le repérer.

Alors je l'endors. Je l'endors à coup de cachets. Il n'y a que ça qui marche, que ça qui le fait taire. Et petit à petit, au fil de jours, il baille, il s'affaiblit, il se rendort. De temps en temps, il ouvre un œil, juste le temps de dire un mot, une phrase, le temps d'une seconde, et il se rendort avant qu'on s'en aperçoive. Mais j'ai arrêté de l'écouter. Plus tard, quand il sera bien endormi, j'arrêterai le traitement, je le laisserai dormir tout seul, là bien au fond, jusqu'à son prochain réveil.

6 commentaires:

  1. lui, c'est un enfoiré.
    j'espère que tu arriveras à endormir à toujours jamais lui.
    tout mon soutien.

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    1. On va essayer et faire tout ce qu'il faut pour ! Tant que j'arrive à l’assommer à chaque fois je m'estimerai satisfaite, il y a pire :)

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  2. Je t'avoue ne pas avoir tout saisi, lire entre les lignes n'a jamais été mon fort... je crois avoir à peu près cerné qui était ce Lui... m'enfin, cela ne m'empêche pas de t'apporter mon soutien, rien que par ce petit commentaire déjà :)

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    1. Lui c'est une bonne maladie mentale bien courante, mais pas encore assez connue : la dépression.

      Merci pour ton soutien :)

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  3. L'essentiel est de le reconnaître pour mieux l'affronter... Know your ennemy !
    Tout plein de courage et j'espère que le traitement sera définitivement efficace.

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    1. A force, je le reconnais rapidement, mais j'ai encore du mal à assumer le fait que je ne peux pas le combattre toute seule. Ça viendra !

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